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L'Ombre de l'Ecrivain

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“L’enfer n’est pas sur Terre, c’est un lieu qui n’existe que dans nos têtes. »

Le mouchoir était d’un blanc perle, quelques vignes encadraient les bords en se tortillant, des fées se cachant dans les coins. Il était accroché à son chapeau par un petit ruban rouge avec un nœud qui, à chaque mouvement qu’elle faisait, se défaisait un peu plus. Dan la regardait avec un petit sourire, assis sur son fauteuil au Soleil avec la brise qui lui soufflait dans les cheveux. L’après-midi idéal pour un peu de lecture dehors. Elle avait une robe légère et remettait sans cesse son chapeau en place, ombrageant son visage. Il n’arrivait pas à distinguer un seul trait de sa tête autre que ses longs cheveux roux qui lui descendait en cascade rougeoyants jusqu'à la taille. Il se sentait heureux, sans aucune raison, content de n’avoir rien à faire. La journée parfaite.
 
Le soleil se couchait lentement à l’horizon au-dessus des arbres et elle lui parlait toujours. Il ne comprenait pas un mot de ce qu’elle disait, ses lèvres remuaient rapidement mais ne produisait aucun son cohérent pour lui. Il ne faisait que d’hocher de la tête. Elle avait une voix douce, quelque chose qui lui plaisait, elle lui rappelait quelqu’un mais il ne savait pas qui.

Un vent, plus fort que le reste se leva et finit de détacher le ruban et le mouchoir s’envola dans les airs. Dan le voyait virevolter au milieu du bleu du ciel, se pliant et se repliant, se tordant sans cesse. Les vignes s’entrecroisaient  et il avait l’impression qu’à certains, ils formaient des mots mais toute compréhension lui échappait. Elle le regarda soudainement et sa voix commença à monter dans les octaves. Elle se redressait de sa position assise et continua à lui parler le regardant-non regardant quelque chose derrière lui. Il aurait aimé pouvoir la regarder enfin, voir à quoi elle ressemblait mais ses yeux étaient rivés sur le mouchoir et sa danse acrobatique et il ne pouvait pas s’arrêter.

Elle reculait maintenant, il pouvait la voir du coin de l’œil. Le ciel s’assombrissait à chaque seconde et le mouchoir passait et repassait, ne s’arrêtant jamais. Il était sûr que des mots étaient inscrits dessus, qu’on voulait lui dire quelque chose. Elle avait peur maintenant. Il pouvait sentir l’urgence et la crainte dans sa voix. Elle voulait qu’il vienne avec elle, qu’il fuie, mais il ne pouvait pas bouger, il ne pouvait pas la suivre. Il devait regarder le mouchoir, savoir enfin ce qu’il voulait lui dire.

C’est à ce moment qu’il entendit les pas sur l’herbe derrière lui. Ils étaient encore loin et ne semblaient pas vouloir se presser, avançant régulièrement. Elle pleurait presque, lui faisant de grands signes de la main. Il ne comprenait toujours pas ce qu’elle disait mais il connaissait le message « Viens! ». Le mouchoir continuait son chemin, se pliant par-ci, par-là venant de plus en plus près. Elle se retourna et s’enfuit, pleurant de peur, Dan pouvait la voir s’échapper dans la nuit. Les pas s’approchaient toujours. Quelque chose en lui disait de se retourner, de voir enfin ce qui se rapprochait, de comprendre une fois pour toute pourquoi elle était partie. Mais il devait continuer de regarder le mouchoir, il devait lire le message qui était inscrit dessus.

La chose était juste derrière lui maintenant, il pouvait presque sentir son souffle sur son dos mais le mouchoir était là sous ses yeux. Dan était paralysé, il sentait une fébrilité lui prendre le corps tandis que le tissu s’était posé sur le sol. Il ne voyait plus rien d’autre que les reflets de la lune sur la soie, les courbes des mots formés par les vignes. Les mots dansaient sous ses yeux, refusaient de rester fixe.

Finalement ils s’arrêtèrent. Il resta là stupéfait à regarder ce mouchoir, n’osant pas lire la phrase qui s’étendait devant ses yeux. Le vent avait disparut, les pas s’étaient tus. Rien ne bougeait, rien ne vivait. Tout était mort et ce qu’elle avait craint, la chose qui l’avait fait fuir était juste derrière lui. Il pouvait sentir le froid que son corps émanait sur son coup. Puis, une voix, douce, caressante et terrible lui susurra à l’oreille, lisant les mots à mesure que ses yeux les lisaient enfin :

« La nuit est noire de terreurs. »



Dan se réveilla en sursaut, surpris par son propre cri. Son cœur battait la chamade et la sueur perlait sur son front. Le cauchemar était encore frais dans son esprit, et il ferma momentanément les yeux. Il connaissait cette voix, il en était sûr. Il l’avait déjà entendu quelque part. La fille par contre ne lui rappelait. Une autre fabrication de son esprit fatigué, sans doute. Il se frotta les paupières et regarda autour de lui. Il était 2h36 et la lumière au-dessus de son bureau illuminait la pièce de son œil jaune, dessinant de grandes ombres sur les murs. Le papier devant lui était empli de flèches, de mots qui s’assemblaient, se dissociaient sans cesse, sans logique apparente. Des noms, des lieux  et des objets étaient inscrits pêle-mêle sur la feuille lui donnant un aspect chaotique. Il s’étira un peu se balançant sur les pieds arrière de la chaise. Ça ferait une bonne histoire, il en était sûr, mais la voix dans son rêve l’obsédait plus. Il était certain de l’avoir déjà entendu.

Il se leva alors et ferma la lumière. Il avait trouvé que de rester dans le noir l’aidait à penser et trier tout ce qui passait dans son esprit. Il commença à marcher, un pas à la fois, sans se presser, allant d’abord à la fenêtre de son bureau. Sa petite maison de vacance- ou de travail, dépendamment de la manière selon laquelle on abordait la chose- était posé non loin du bord d’une falaise et lui donnait un panorama sensationnelle sur les monts hérissés de forêts aux alentours. Aucun voisin ne pouvait venir le déranger, le plus proche étant à une cinquantaine de kilomètres de là, au village d’en bas. Ici, Il était seul avec la forêt, l’unique visiteur qu’il avait étant Phil qui passait chaque semaine avec du ravitaillement. Le décor l’avait souvent inspiré pour de nombreuses histoires et il avait appris à l’apprécier à sa juste valeur.

Il se retourna pourtant, irrité par le fait qu’il n’arrivait pas à retrouver l’origine de la voix. Il était certain qu’il y avait une grande importance, qu’il était primordial de retrouver la personne qui avait cette voix. Il passait dans sa cuisine et prit un verre d’eau qu’il avait entamé la veille. L’avantage avec le fait d’être un écrivain à succès était qu’il avait réussi à avoir assez d’argent pour se faire construire cette résidence secondaire avec eau courante et électricité. C’était son petit coin de paradis, de repos. Un endroit où personne ne pouvait venir le déranger. Un monde à part, loin des éditeurs, des soucis d’argents de tous ceux qui voulaient de son attention. Un lieu où il pouvait être seul avec lui-même.

Son verre à la main, il se dirigea vers la chambre d’amis, l’endroit où il entreposait tous ses romans à suspense. Évidemment, la chambre en question était très peu utilisée mais la dernière fois ça avait été sa tante Janice. Une paranoïde qui l’avait obligé d’installer une porte de chêne massive avec une serrure d’acier. Au final, aucun voleur n’avait tenté de s’infiltrer dans sa chambre. Quand il voulut entrer, il la trouva fermée et dut chercher  la clé dans la commode du salon. Une fois entré, il rangea la clé dans sa poche, alluma la lumière et se dirigea vers la bibliothèque. Une trentaine de livres portaient le logo des best-sellers et de multiples citations d’autres auteurs sur ses œuvres. Il passa le doigt sur le dos de certains, ses lèvres murmurant des mots incompréhensibles. Après une courte recherche, il s’arrêta sur un dénommé  « L’ombre de minuit ». Il le feuilleta un instant puis sourit un peu. C’était bien la voix de l’Ombre qu’il avait entendu, un personnage qu’il avait inventé 20 ans auparavant, une créature de forme humanoïde qui ne pouvait attaquer une victime seulement si cette dernière était dans le noir. Dan sourit, se remémorant les multiples scènes de stress qu’il avait élaboré. Au final, l’Ombre n’avait jamais été détruit, ni même réellement vu. C’était ce qui l’avait rendu si terrifiant, il était impossible de savoir s’il existait réellement.

C’est à ce moment que Dan entendit des coups résonner dans sa résidence : quelqu’un était à la porte. Il posa le livre sur la table de nuit et partit à la fenêtre du salon qui donnait sur l’entrée. Il avait toujours espéré qu’un jour, un animal vienne assez proche pour qu’il puisse les voir sans jumelles mais ne voulait vraiment pas que ce soit un ours qui croit que sa maison était un garde-manger. Il eut beau regarder dans tous les sens, il n’y avait rien qui vive dehors. Finalement, il se décida d’ouvrir la porte.

L’air frais du petit matin lui caressait le visage quand il vit la figure assise sur les marches du perron. Une petite forme, féminine qui lui présentait un dos couvert d’une longue chevelure rousse. Elle avait sa tête posée sur ses genoux et ne bougeais pas quand il s’approcha. Il y avait peu de lumière, juste de quoi distinguer quelques traits mais ce qu’il vit fit monter en lui une vague de compassion. C’était une gamine, une adolescente de 14-15 ans au mieux, avec un visage angélique et amoché. Deux cernes profonds enfonçaient ses yeux dans leurs orbites, ses pupilles complètement dilatés, sa lèvre ensanglantée et sa joue gauche ainsi que son front avaient de grosses marques de coups.
Au début, Dan ne savait quoi faire. Quand il la regardait, il sentait que quelque chose en lui voulait s’assembler, des pièces de puzzle s’assembler dans sa tête et pourtant, il n’arrivait pas à comprendre quoi. Puis il se souvint de son rêve, de la fille au mouchoir et le visage qui avait été si flou auparavant se définit. Elle ne bougeait pourtant pas, restant immobile, les yeux regardant dans le vague, même quand il passa la main devant son visage. Finalement il se décida de l’amener à l’intérieur. Il lui toucha l’épaule.

Le son commença par un pleur. Puis un autre. Des murmures dans la nuit. Derrière lui, à sa gauche, à sa droite, partout autour, se rapprochant, convergeant vers eux. Il regarda rapidement, essaya de voir ce qui venait. La seule chose qu’il pouvait discerner était les figures noires, stoïques des grands pins. Il les entendait à trois pas, deux pas, a coté de lui, juste là, à quelques centimètres de ses oreilles. Il se débattit, tentant de chasser l’origine du son mais il ne toucha rien de palpable. Les murmures étaient de plus en plus forts, plus en plus bruyants, les voix s’entremêlaient, toutes de plaintes, des sanglots, des gémissements. Puis il y eut un cri, un deuxième, dix, cent, toutes. Le hurlement se levait dans la nuit, sinistre, une ode à la solitude et à la peur. Dan poussa un cri de douleur et s’agrippa les oreilles essayant de faire taire le son, de ne plus entendre, de ne plus sentir.

Aussi rapidement qu’ils étaient venus, les voix se turent et Dan resta prostré, atterré, les mains sur les oreilles, gémissant un peu. Un liquide chaud gouttait entre ses doigts et dans sa tête le son résonnait encore. Un bourdonnement continuait de se faire sentir, un écho lointain de ce qu’avait été le tumulte sonore qu’il avait enduré. Il se releva chancelant, les larmes aux yeux. La fille ne semblait n’avoir rien entendu et paraissait toujours aussi peu consciente qu’auparavant. Dan prit une profonde inspiration puis la prit dans ses bras, la soulevant difficilement. Heureusement pour lui, elle était légère et il était capable de la transporter, même dans son état.

Il ne savait pas vraiment quoi penser de l’événement et ses pensées se chassaient l’une l’autre toutes aussi confuses et fantaisistes. Aucune explication ne paraissait logique, rien ne pouvait réellement donner raison à ce qu’il avait entendu. Et pourtant, la douleur persistante qu’il sentait principalement dans son oreille gauche l’assurait qu’il n’avait rien rêvé.  

Longeant les murs, il se rendit jusqu'à la chambre d’amis, en sueur et grognant sous l’effort. La chance semblait être avec lui, quelque peu qu’il puisse avoir dans ces circonstances : il avait laissé la porte ouverte. Il passa à l’intérieur et la posa aussi doucement qu’il le put dans le lit. Elle semblait se détendre, allongé sur les couvertures; ses traits se décontractèrent quelque peu et sa bouche s’entrouvrit tandis que sa respiration ralentissait. Il aurait put jurer qu’elle disait quelque chose, qu’un mot s’échappait de ses lèvres mais il eut beau s’approcher, il ne réussit à discerner que quelques syllabes avec ses oreilles endommagés. Il se décida enfin de se coucher, réalisant en même temps l’étendu de sa propre fatigue.  

L’adolescente était un mystère sur jambes pour lui. Tant de questions se bousculaient dans son esprit embrouillé, tant de suppositions et d’hypothèses sans queue ni tête. Quand sa tête se posa sur son oreiller et qu’il grimaça un peu de la douleur dans ses oreilles, il n’était arrivé à rien de concluant. Rien ne pouvait franchement expliquer pourquoi elle se trouvait là. Tout ce qu’il savait était qu’elle avait une quelconque importance étant donné qu’il avait rêvé d’elle.

Cette nuit-là, Dan dormit peu. Il tourna et se retourna sans cesse dans son lit, un sommeil léger et peu efficace lui faisait battre le cœur sous ses paupières. Ses pensées partaient en spirales infernales qui tournaient sans cesse et il avait l’impression qu’il avait devant lui un casse-tête géant et que s’il arrivait à le résoudre il aurait enfin la paix. Pourtant, il avait beau le tourner dans tous les sens, rien ne paraissait logique. Finalement, avec l’horloge affichant 6h 37 du matin, il se décida de se lever.

Il passa dans sa cuisine pour se faire à manger et but un café chaud en regardant par sa baie vitrée. Les gestes si familiers le reposèrent l’esprit et il se massa un instant les lobes. S’il les tiraient doucement vers le bas, il avait l’impression d’entendre un peu mieux, ou un peu moins le tintement constant, ce qui revenait au même. Il jeta un coup d’œil rapide sur la jeune, histoire de voir si elle s’était réveillée et, quand il vit que ce n’était pas le cas, il décida de se remettre au travail.

Il n’y avait rien de mieux pour s’occuper la tête que d’écrire, de résoudre les différents problèmes des personnages, voir les multiples facettes du scénario s’assembler en son œil intérieur afin de tisser une fresque tridimensionnel. Le sourire lui revint graduellement sur ses lèvres tandis que les minutes s’enfilaient, passaient tels des grains de sable dans le sablier et il oublia tous les événements de la veille, se concentrent uniquement sur sa tâche, sur ce qu’il avait à faire, ressentant un bien physique.

Il entamait le deuxième tiers du synopsis quand il entendit un bruit sourd, léger, à peine perceptible. Il n’y fit d’abord pas attention, restant bien dans le bon état d’esprit nécessaire à la création d’une œuvre. Le son se fit insistant. Il releva un peu la tête, irrité, puis regarda derrière lui, espérant qu’elle était là. Son bureau était vide. Il lui semblait pourtant entendre des voix, très faibles, à peine des chuchotements. Ses poils se hérissèrent tandis qu’il se figea, s’apprêtant à plaquer ses mains sur les oreilles afin de sauver le peu d’audition qui lui restait si la folie sonore de la veille se répétait. Il attendit un long moment mais les chuchotements continuèrent à voix basse.  
Cette fois, Dan avait de la lumière autour de lui et il se dit que rien ne pourrait se cacher de son regard inquisiteur. Il parcourut sa maison à la recherche de la source des voix mais ne vit rien qui attira son attention. Les chuchotements semblaient parvenir de partout et de nulle part en même temps. L’intensité sonore augmentait lentement et il arrivait enfin à discerner quelques mots : « seule », « peur », « où est-il? ». Les mots se répétaient, encore et encore, à ne plus en finir, sans une pause, une centaine de voix qui murmuraient de haut, de bas, de loin et de proche. Un océan sonore qui emplissait les salles d’une mélodie de gémissements et de voix tremblotantes.

Quand il pénétra dans la chambre de l’adolescente, les voix se turent instantanément et semblaient toutes retenir leur souffle. Il referma la porte derrière lui et s’approcha du lit. Elle ne paraissait pas avoir vraiment bougé mais ses doigts avaient des spasmes et ses yeux bougeaient rapidement sous ses paupières. Il ne savait pas vraiment s’il devait penser que les voix qu’il entendait étaient le fruit de ses tympans endommagés ou d’une autre source. Il s’assit sur la chaise du bureau au pied du sommier et la regarda un moment. Au final, les voix ne l’inquiétaient même plus. Trop de choses étranges se passaient autour de lui, trop d’événements improbables qui frôlaient l’impossible. Il se mit à rire un peu puis de plus en plus fort, ne pouvant s’arrêter. Tout ceci était d’un ridicule qu’il trouvait particulièrement ironique. Il riait à gorge déployée, sentant se torse se contracter à chaque sursaut. Ses abdominaux lui faisaient mal et ses yeux larmoyaient quand enfin il s’arrêta, s’étouffant un peu, plié en deux sur le bureau.
Elle n’avait pas bronché, pas bougé un seul instant. Il se frotta le nez et renifla puis regarda devant lui et se saisit d’un papier et d’un crayon qui traînait sur le rebord de la table pour écrire. C’était une histoire sombre et terrifiante, il le sentait, quelque chose de terrible qui ferait frissonner d’horreur et dresserait les poils sur les bras. Il le sentait venir, les voix autour de lui, dans sa tête, s’étaient tuent. Elles devaient surement lire au-dessus de son épaule, lire l’histoire de la fille qui s’était perdu dans la forêt, pourchassé par une ombre, une chose informe. La tension montait en lui, une sorte d’excitation, de fébrilité tandis qu’une frénésie s’empara de son bras, ses doigts se crispèrent sur son crayon et il ne parvenait plus à cligner des yeux.

Il devenait fou. Il le savait, le sentait et sa ne lui faisait rien. Tout ce qui lui importait était l’histoire. La fille pouvait dormir encore longtemps, la Terre s’arrêter de bouger, la nuit ne plus jamais voiler le ciel mais il écrirait. Il n’existait pour lui que ces pages, ces lignes qui flottaient devant ses yeux, volaient aux éclats des émotions de son personnage, des battements de son cœur tandis qu’il comptait les pas de ses phrases, goutaient ses ligne sur sa langue, formaient les mots un par un sur ses lèvres et les laissaient retomber sur la feuille. Rien ne pouvait avoir autant d’importance que la douce mélodie que lui susurraient ses mots, ces mots si doux, si suaves à son oreille. Il ne s’aperçut pas que ses paupières se fermaient tandis que déferlaient devant ses yeux le texte qu’il avait écrit.

Le soir était déjà tombé quand il se réveilla, la tête entre ses bras croisés, une couverture sur ses épaules. Sa tête était encore embrouillée et il avait l’impression de pouvoir entendre son cœur battre dans ses tempes mais quand il releva ses yeux, un sandwich reposait sur une assiette devant lui. Son nez lui offrit la liste des ingrédients rapidement : pain, mayonnaise, salade, jambon et tomates. Ses feuilles n’étaient plus éparpillées comme il les avait laissés mais plutôt bien empilés sur le coté, ses stylos rangés par taille. Il laissa la couverture glisser sur son dos et s’étira sur sa chaise jetant un coup d’œil au lit. La fille était maintenant sous les couvertures, endormies, tenant le coussin à poids serrés. Elle marmonnait un peu et fronçait les sourcils de temps en temps. Il se rapprocha et tira doucement les rideaux pour qu’un rayon de lune frappe son visage. Les marques bleues sur son visage viraient au vert et sa lèvre avait l’air moins enflé. Son teint donnait vaguement l’impression d’être plus reposé et il sourit. Elle avait dormi la plupart de la journée et s’était levé pour ranger un peu la chambre et même s’occuper de lui. Elle irait mieux. Il préféra ne pas la réveiller, elle avait surement besoin de son sommeil.

Quand il commença à s’éloigner, il remarqua un détail amusant : Le livre qu’il avait placé là, « L’Ombre de minuit » avait un marque page placé vers le milieu. Elle avait dû bien aimé pour le dévorer à cette vitesse. À vrai dire, il n’avait jamais vraiment parlé avec quelqu’un d’autre que sa famille qui avait lu le livre et il éprouvait une immense satisfaction à voir que cette étrangère, blessé et très certainement fatigué avait quand même pris du temps pour le lire. Il se retourna vers la pile de feuille qu’il avait entamée. Elles étaient proches d’une vingtaine et il se rapprochait énormément de ce qu’il avait vécu la veille. Il avait réussi à retranscrire son inquiétude dans ceux du personnage. D’une certaine manière, ça lui avait libéré des siens. Il avait l’impression que ses émotions avaient étés drainés, toute sa peur et sa tension, ses tremblements d’effroi s’étaient évaporés, envolés avec les mots qu’il avait mis sur feuille. Évidemment, il entendait encore un petit bourdonnement, mais rien de vraiment inquiétant.
Il les laissa de coté et préféra prendre le repas qu’elle lui avait préparé et se promener un peu dans la maison, histoire de voir ce qu’elle avait fait, au cas où elle avait brulé le four. Il pressa un peu le pas en se dirigeant vers la cuisine et faillit s’étouffer avec son morceau quand il y parvint. Elle avait fait toute la vaisselle la petite. Il n’avait jamais été quelqu’un de sale mais le rangement n’était pas vraiment sa tasse de thé. Il se promena vers l’atelier, curieux de ce qu’elle avait fait d’autre mais espérait quand même qu’elle n’avait pas fait de trop. Après tout elle était une invitée et non une femme de ménage.

Il entra dans la pièce et l’odeur d’encre ainsi que le doux vrombissement de l’ordinateur l’accueillirent. Rien n’avait changé et il était assez évident qu’elle n’y était pas entré : apparemment lorsqu’il l’avait quitté de manière assez précipité la veille, il avait renversé le fauteuil et celui-ci restai par terre, quartes roulettes dressés fièrement au ciel. Il le redressait à l’en droit quand il regarda par la fenêtre. La lune dehors se voilait, les nuages la cachaient petit à petit plongeant la salle dans une pénombre. De tout évidence elle avait ouvert tous les volets dans la maison et- il entendit un coup sourd. Elle ne savait pas comment les accrocher pour qu’ils restent ouverts. Il sortit de l’atelier tranquillement, mâchant son sandwich et vérifiant chaque fenêtre sur son passage, les verrouillant. Le vent était frais et soufflait fortement quand il passait sa tête en dehors.

Il avait fini son tour, la maison était éclairée par une douce lueur blanchâtre et il se dirigeait de nouveau vers son atelier quand il entendit de nouveau un volet se rabattre. Cette fois, il était certain qu’il les avait tous ouverts et verrouillés et il se retourna vers l’endroit d’où était venu le son. Il alluma la lumière du hall, clignant des yeux tandis que ses pupilles se rétractaient, protestant contre la soudaine clarté et il héla le silence :

« Il y a quelqu’un? Ho, la fille, vous êtes là? » Il y eut aucune réponse et il pouvait voir le volet fermé au fond du hall, l’endroit le plus loin de l’ampoule. Bien sûr, il ne craignait pas le noir mais il pouvait sentir en lui les doutes venir lui mordre l’esprit, des serpents tortueux de questions qui s’insinuaient dans sa tête, empoisonnaient ses pensées. Tant de choses étranges s’étaient produites sans raisons, disaient-ils, ce serait si facile qu’une autre arrive. Il avança d’un pas qu’il voulait déterminé. Il n’avait pas peur du noir après tout, il avait créé l’Ombre pour cette raison après tout. Il avait grandi, le noir n’était plus rien. Ah oui? Répondirent les serpents. La lumière vacilla et Dan s’arrêta. Elle clignotait sans cesse, clignant son œil lumineux. Il le regarda, la mâchoire se tendant, les points serrés. Ce n’était que le vent qui jouait avec les fils, que le vent qui avait débloqué le volet. La lumière s’éteignit, plongeant la maison dans la lueur blanche de la lune. Il essaya de bouger l’interrupteur, allumer et éteindre la lumière plusieurs fois. L’ampoule avait grillé, ce dit-il, ça arrive tout le temps. Les serpents ricanèrent.

Rien à craindre. C’est juste un volet. Il avança d’un pas. Puis d’un autre. Tu fais l’enfant, un volet ne peut pas te faire de mal. Il força ses mains d’arrêter de trembler. Un pas. Il faisait noir pourtant, si noir au fond. Il arrivait à peine à distinguer quoique ce soit. Il continua son chemin. Il pouvait entendre sa respiration, son cœur battre. Il n’y avait pas un seul bruit dans la maison. Pas une machine ne grondait, pas un oiseau ne chantait, le vent ne sifflait pas dehors. Il leva un pied hésitant, juste quelques mètres de plus. Vlan. Sa tête tourna rapidement, ses yeux cherchant dans l’obscurité à sa droite. Dans la chambre adjacente, le volet s’était rabattu plongeant tout dans le noir. Il aurait pu jurer voir quelque chose bouger, une silhouette au plus, un tressaillement. Les cheveux sur son cou commencèrent à se hérisser. Le vent, sans doute… Il ne pouvait pourtant pas l’entendre.

Vlan.

Vlan.

Vlan.

Vlan.

Un a un les volets se fermaient et la maison devenait de plus en plus sombre. Il avait l’impression de voir la lumière se faire aspirer de chaque salle par l’ombre. Il plongea dans la chambre d’ami sur sa gauche et ferma la porte le plus rapidement possible, une main fouillant dans ses poches. La clé était toujours là. Sa gorge émettait un petit cri sourd à chacune de ses respirations. Il venait juste de tourner le loquet quand il vit la poignée bouger. Juste un tremblement. Puis, lentement, descendre, pivoter complètement mais la porte resta fermée. Les volets étaient toujours ouverts dans la pièce. Il essaya d’ouvrir l’interrupteur. Aucun résultat.

« C’est impossible… C’est impossible… » Ces mots se répétaient dans sa tête comme un refrain, une litanie, vibrant dans chaque parcelle de son corps. C’était l’Ombre, le personnage de son livre, une fiction devenue réalité. Un fragment de son esprit qui était passé à l’existence. Il se souvenait du passage : L’Ombre n’attaque que ceux qui sont dans le noir le plus complet, ceux qui ne peuvent plus voir la lumière. Il n’avait jamais décrit comment la personne mourrait, juste que le corps ne semblait porter aucune marque et qu’il était complètement raide. Il ne savait lui-même pas comment la créature s’y prenait. La porte vibra sur ses gonds et Dan releva la tête. L’Ombre voulait l’enfoncer.
Il se mit derrière le bureau et commença à le pousser de toutes ses forces, le seul meuble lourd qu’il pouvait déplacer. Après quelques secondes d’effort il parvint enfin à le placer contre la lourde porte en bois massif. Les coups se répétaient, de plus en plus forts mais elle tenait bon. Il se laissa glisser contre son bureau, non, celui de sa chère tante Janice. Il la remercia silencieusement et se promit de l’inviter de nouveau le plus vite possible. Ou simplement l’inviter. Un autre coup. S’il survivait.

Chaque fois qu’Il frappait, Dan avait l’impression que sa tête vibrait avec le bois, que ces impacts passaient directement dans son crâne. Il grimaça de douleur. Boom. Boom. Boom. Était-ce de coups dans la porte ou son propre cœur qui battait ainsi? Boom. Boom. Boom. Il regarda rapidement sur les couvertures. Elle dormait toujours la petite, même avec tout ce raffut. La porte vibra encore plus fortement et l’écrivain gémit. Il était en enfer. Il le savait, il en était sûr. Il sentit un rire lui monter de fond de sa gorge, non pas un rire d’amusement mais un rire de démence, de peur et d’horreur. Il sentait les spasmes secouer son corps tandis qu’un son étrange sortait de sa bouche. C’était quelque chose entre le rire et le râle, un homme qui sent sa raison s’échapper, s’en aller avec la peur qui hantait son corps. Les serpents mordaient à pleines dents dans sa tête, empoisonnant son esprit.

Son souffle se devenait buée et la chambre était si froide. Il ne riait plus, des larmes coulaient sur ses joues. Boom. Boom. Boom. L’Ombre s’acharnait, ne faisant aucun bruit. Dan pleurait, grelottant. Au fond de lui, il ne savait plus quoi faire, plus quoi penser. Le monde avait perdu toute raison, tout sens. Il devait être en enfer. C’était la seule chose qui pouvait tout expliquer. Il prit sa tête entre ses mains et commença à se balancer de droite en gauche, émettant un râle sourd à chaque intervalle. Puis il cria dans la nuit « Sortez de ma tête! ». Les serpents avaient terminés leur festin. Dan s’effondra au sol, les yeux clos, son corps bougeant par coup saccadés, rapides, non coordonnées. Et dans sa tête, le noir emplit son esprit et l’inconscience prit le dessus.
Quand les paupières de l’écrivain s’ouvrèrent de nouveau, il était assis sur la chaise de son bureau, devant ses feuilles avec une couverture sur ses épaules. Le bureau était bien placé  au pied du lit et un sandwich l’attendait patiemment. Il regarda autour de lui; le soir était tombé et la nuit s’installait tranquillement. Un rêve? Il se leva et une feuille tomba de sur le bureau. Écrit dans une calligraphie qui n’était pas la sienne il lut :
«
Cher Monsieur,
Je vous remercie beaucoup de m’avoir accueillis chez vous et de m’avoir secourut. J’aimerais bien vous expliquer les raisons de ma visite mais je préfère ne pas le faire par lettre. Je suis contente que vous m’avez laissée venir, je me sentis si seule… Puisque vous dormez tout le temps, j’ai fait un peu de ménage chez vous, c’est un endroit très agréable. J’ai aussi remarqué que vous étiez auteur et je me suis permis de lire un ou deux de vos livres. Ils sont très biens. D’ailleurs la nuit dernière j’ai fait un cauchemar avec  l’Ombre, c’est à ce point que je trouve que vous êtes doués. J’ai aussi…»

À ce moment, toutes les pièces du puzzle géant entrèrent en place dans l’esprit de Dan. Toutes les fois où un événement inexplicable était survenu, la petite était inconsciente. Il relu rapidement le début : « … je me sentais si seule… » Son sang se glaça dans ses veines. Les cris qu’il avait entendu la première fois, les murmures dans la nuit, tous exprimait la solitude, le fait qu’elle avait peur, son horreur. Il continua rapidement : « … la nuit dernière j’ai fait un cauchemar avec l’Ombre… ».  Les rêves de la petite devenaient réalité. Il releva la tête et la regarda. Elle dormait. Mais pas paisiblement, son sommeil était agité. La table de nuit attira son regard et il s’entendit dire : « oh non… non non non non … mon dieu non… » Empilés l’un sur l’autre, quatre de ses plus horribles histoires reposaient. Elle avait lu ses histoires. Ses rêves étaient cauchemardesques, il en était sur. Il s’élança vers elle, il devait la réveiller au plus vite. Il la prit dans ses bras et la secoua, secoua de toutes ses forces. Elle ne pouvait pas dormir, pas maintenant. Mais les yeux de l’adolescente restèrent clos et elle gémit un peu dans son sommeil.

Vlan.

Dan se figea, les volets de la chambre s’étaient fermés. Il tourna lentement la tête vers la porte grande ouverte, la porte que le bureau ne bloquait plus, la porte devant laquelle se tenait une silhouette. Il sentit ses lèvres trembler tandis qu’une voix douce, si douce susurra :

« Bonjour monsieur Dan. » Et il ferma la porte brusquement, plongeant la pièce dans l’obscurité totale.
Well, it's been a while since I last posted that's true, and I came up with this. This is the longest short story that I posted, and it's in french. Well, it was supposed to go in a contest but the contest was done in a way where people had to vote for their 10 first favorites and I wasn't in them. So the jury didn't get to read mine. A pity. Anyways, I appreciated writting it and... that's about it.
Une petite nouvelle que j'avais envoyé pour un concours de nouvelles. Au final, je n'ai pas été accepté et donc je vous l'offre comme ça. J'espère qu'elle vous plaîra.
© 2013 - 2024 KittyPwa
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